Source : L’observatoire du journalisme
Si on parle de crise des médias en général, les nouveaux formats prolifèrent : mooks, podcasts audio, abonnements croisés comme dans le club de la presse, vidéos favorisant les longs reportages, etc. Nous avons rencontré Vincent Lapierre, le fondateur d’un “relativement” nouveau venu, le média pour tous.
VINCENT LAPIERRE, QUELLE EST LA GENÈSE DU MÉDIA POUR TOUS ?
Le Média pour Tous est né en juillet 2018, de la volonté — la mienne et celle de quelques amis — de bâtir un média alternatif de terrain en mesure de présenter les événements sous un angle différent de celui des médias de masse. Il faut savoir que ces grands médias ont une domination quasiment sans partage sur la production de reportages audio-visuels, tout simplement car ils étaient jusque-là les seuls à avoir les fonds et les compétences nécessaires pour demeurer les maîtres dans ce domaine. C’était jusqu’à encore récemment leur chasse-gardée. Nous souhaitons remettre en cause ce monopole, avec notre style et en prenant en compte une donnée fondamentale qui est la puissance des réseaux sociaux. Au fond, nous pouvons livrer bataille car, contrairement à il y a à peine 15 ans, les avancées technologiques nous le permettent : le matériel d’enregistrement vidéo et audio de haute qualité, bien que cher, est devenu plus accessible, et Internet, grâce aux réseaux sociaux, permet une diffusion massive de l’information. La conjonction de ces deux facteurs fait que nous engageons ce combat qui nous semble fondamental. Le peuple français doit impérativement avoir à sa disposition une pluralité de points de vues provenant directement du terrain où se produisent les événements, afin de pouvoir les observer et les analyser sous un autre angle que celui des médias financés par le triptyque milliardaires/pubs/subventions : c’est la raison d’être du Média pour Tous.
QUELLE EST L’ORIGINALITÉ DE VOTRE MÉDIA ?
Je ne sais pas si on peut parler “d’originalité” car en matière de média beaucoup de modèles existent déjà, mais ce à quoi nous tenons tout particulièrement, c’est notre totale indépendance à l’égard des puissances d’argent. Personne ne nous dicte notre ligne, personne ne peut nous empêcher de traiter tel ou tel sujet, ou simplement nous interdire de dire ce que l’on pense ou poser les questions que l’on veut ! À ce propos, nous assumons totalement notre subjectivité, nous parlons depuis un point de vue qui est clair : celui du peuple français. Personnellement je n’ai, ni quiconque dans mon équipe, aucun lien, aucune connivence avec le gouvernement, ou avec le petit milieu parisien ou la soi-disant “élite” : nous venons tous des entrailles du peuple français. Et nous voulons à travers nos reportages défendre ses intérêts, dénoncer les abus de pouvoir à son encontre et, si possible, aider à unir les gens. Alerter est, je le crois, l’essence même du journalisme. Et unir est le rôle premier d’un média, dont le nom même vient du latin medium : le lien. Je crois que ces deux notions, alerter et unir, ont été abandonnées par une majorité de journalistes en France, or la nature ayant horreur du vide, nous voilà !
QUELLES SONT LES DIFFICULTÉS AUXQUELLES VOUS ÊTES CONFRONTÉ ?
La plus grande difficulté que nous rencontrons découle justement de ce qui pour moi est notre principale qualité : nous sommes totalement en dehors des sentiers battus, nous ne sommes dans aucun réseau de pouvoir, par conséquent nous n’avons pas un accès facile à certaines informations, ni à certains terrains. Il sera par exemple très difficile pour nous de faire un reportage en immersion au sein des forces de police, par exemple, ou parmi les pompiers ou dans un hôpital : ces institutions n’ouvrent leur porte qu’à des médias du système. Nous aurons également un accès difficile aux “spécialistes”, aux “experts”, qui bien souvent réservent leurs interventions aux “grands médias”. C’est pourquoi notre terrain privilégié est la rue et nos interlocuteurs principaux les Français du quotidien, et nous nous en accommodons d’ailleurs très bien ! Par contre, il est intéressant de noter que dans la rue, parmi ces Français-là, nous sommes “comme des poissons dans l’eau” quand les grands médias, eux, éprouvent de plus en plus de difficultés : l’épopée des Gilets Jaunes en a été la démonstration flagrante. C’est un peu comme si la lutte des classes s’était portée jusque dans la bataille médiatique et que nous représentions une certaine frange de la population : la France d’en bas, la majorité silencieuse et laborieuse qui subit la propagande médiatique matin, midi et soir. Voilà peut-être l’une des clés de compréhension du dynamisme de notre projet : les médias du système sont devenus de telles caricatures d’eux-mêmes par leur servilité à l’égard du gouvernement (je pense à l’élection de Macron et ses relais évidents dans la presse écrite et télévisuelle) et des quelques milliardaires qui les possèdent, qu’ils ont ouvert un véritable boulevard aux médias alternatifs. Les gens attendent autre chose. Nous ne sommes que le fruit de ces aspirations et donc, in fine, des limites des canaux médiatiques historiques.