La résilience, seul avenir possible pour l’humanité ?

La notion de résilience a largement été mutilée voire détournée ces dernières semaines, notamment dans les discours politiques et médiatiques. Pourtant, dans un contexte d’intenses perturbations des écosystèmes écologiques et sociaux, le concept de résilience devient incontournable pour appréhender l’avenir.

Pour ce faire, il nous faut comprendre le fonctionnement systémique de la relation entre l’Homme et son environnement pour dessiner le chemin qui mènerai vers une capacité de résilience des territoires face aux basculements probables d’ordres écologiques, économiques, sociaux etc. qui s’annoncent. A cet égard, le Centre de Recherche et Développement et de Transfert en Innovations Sociales Clermont Auvergne nous proposent d’aborder la notion de résilience à l’échelle des territoires à travers une « stratégie 3R » : Repérer Relier et Résister.

Les transformations naissent de l’expérience. Dès lors, l’expérience de la catastrophe sanitaire aura fait basculer bon nombre de nos certitudes collectives vis-à-vis de notre modèle de société. Toutefois, le temps nous est compté et nous voudrions aujourd’hui insister sur ce que l’équipe de Dennis Meadows décrivait en 1972 (date de la première édition du célèbre rapport qui fait état des ressources finies de la Terre) : notre civilisation dite « n’a pas d’avenir ».

Dans la préface de la nouvelle édition 2017 de ce rapport, les auteurs soulignent plus précisément « que les limites écologiques planétaires (en matière d’utilisation de ressources et d’émissions de polluants) auraient une influence importante sur le développement mondial durant le XXIe siècle ». En France, après deux mois de confinement, des dizaines de milliers de mort, l’explosion du taux de chômage, l’accroissement des faillites d’entreprises, ou encore la mise au jour de notre vulnérabilité alimentaire nous donnent une idée de ce à quoi ils faisaient référence.

En effet, « il fut un temps où les limites à la croissance appartenaient à un futur éloigné. Elles sont bien là, aujourd’hui. Il fut un temps où le concept d’effondrement était inconcevable. Il fait aujourd’hui son apparition dans les discours publics ». Bref, la situation unique que nous affrontons face au covid-19 aujourd’hui, met en lumière la réalité quotidienne probable de l’Humanité pour demain si nous n’agissons pas.

Comprendre la relation entre l’Humanité et le système-Terre

Soyons clairs, l’Humanité va devoir affronter des périls inédits par leur intensité, leur répétition et leur surgissements incertains dans les prochains mois, les prochaines années. L’explication tient en un mot : l’exponentielle ! Expliquons nous, l’Humanité a un impact sur le système-Terre en trois dimensions. Tout d’abord, les ressources que nous prélevons (énergies fossiles, minerais, ressources biologiques etc.).

Puis les déchets que nous produisons en transformant ces ressources en biens et services de consommation (notamment le CO2). Et enfin, les dégradations que nous infligeons par ce processus (atteinte à l’atmosphère, dégradation de la pédosphère – les sols- , fonte des glaces et du permafrost etc.). Tout cela constitue notre empreinte écologique et cette empreinte est définie aujourd’hui comme exponentielle, c’est à dire qu’elle croît de manière extrêmement rapide (théoriquement, elle double tous les deux ans). Les scientifiques nomment cette empreinte exponentielle la « grande accélération » (Steffen et al., 2015).

Le prélèvement des ressources est supérieur à la capacité de régénération de la planète

Par ailleurs, notre empreinte écologique est à mettre en miroir de la biocapacité de la Terre, c’est-à-dire plus précisément sa capacité à renouveler les ressources que nous prélevons, puis sa capacité à absorber nos déchets, et enfin sa capacité à réparer les dégâts infligés. Le constat est le suivant : l’intensité du prélèvement des ressources et de leur transformation en déchets est bien supérieure à la capacité de la planète à absorber et régénérer.

Par conséquent, la capacité productive des sols et des océans, ou la capacité de photosynthèse, se dégradent. La bio-capacité de la Terre est en constante diminution et par conséquent, le déficit se creuse. Nos écosystèmes sont durablement bouleversés par l’activité de l’Homme avec pour conséquence l’avènement d’un nouvel âge du système Terre qu’un nombre croissant de scientifiques propose de nommer « période de l’Anthropocène » ( Gemenne & Rankovic 2019 ).

Cette nouvelle période succéderait à l’Holocène, une période qui a débuté il y a 11 700 ans et qui a bénéficié de conditions particulièrement stables et clémentes, c’est-à-dire une relative stabilité des niveaux du dioxyde de carbone et du méthane atmosphériques, du climat mondial, du niveau des mers, des cycles d’azote et du phosphore, etc. C’est ce qui a permis la croissance et le développement de la civilisation humaine.

L’humanité a bouleversé les cycles naturels

Or, depuis la première Révolution Industrielle, l’activité anthropique (humaine) a progressivement bouleversé la stabilité de ces cycles (carbone, azote, phosphore etc.) provoquant par voie de conséquence le dérèglement climatique, la montée du niveau des mers, l’acidification des océans, la multiplication des zones mortes dans les océans, le changement d’usage des sols, des pertes d’habitats et d’espèces, avec des intensités records.

Si, depuis son apparition, l’Homo Sapiens a toujours eu un impact sur la Terre et ses équilibres, ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est la magnitude de ces changements, c’est-à-dire leur intensité (de gros changements dans des laps de temps très courts), leur nombre et leur étendue. Compte tenu de leur caractère systémique (une relation forte entre l’ensemble des éléments de notre système-Terre et l’ensemble des activités humaines), il est particulièrement difficile de comprendre et d’évaluer le nombre de manifestations de l’Anthropocène et leur magnitude.

C’est la raison pour laquelle les scientifiques du GIEC parlent de fourchettes probables, et précisent progressivement leurs travaux (de façon toujours plus alarmante soit dit en passant). Pour autant, ces travaux exposent la corrélation très forte entre les transformations globales de notre écosystème de vie, une extinction de masse du vivant sur Terre, et, par conséquent, les effondrements de la société dite thermo-industrielle, totalement dépendante de ce vivant.

Nous marchons vers notre péril tout en campant sur nos certitudes

Mais nous ne vivons pas dans un film de science-fiction, voilà pourquoi nous parlons d’effondrements au pluriel car nous ne vivrons pas un épisode apocalyptique, mais plutôt une série de déstabilisations plus ou moins intenses et plus ou moins larges. Dès lors, le constat est limpide, nous savons qu’en poursuivant dans cette voie nous allons nous exposer à une vulnérabilité croissante, directement liée à la déstabilisation de l’ensemble de notre système.

Pourtant, face à ces défis nous agissons comme des somnambules. Reprenons les termes du philosophe grec Héraclite : « Éveillés, ils dorment » ! En effet, nous sommes plongés dans une inertie mortifère qui nous aveugle, nous marchons vers notre péril tout en campant sur nos certitudes et en refusant l’avènement de l’incertain.

De ce triste constat personne n’est épargné. En effet, si la situation que nous vivons aujourd’hui plonge la majorité des individus dans un abîme d’incompréhension, les spécialistes semblent eux aussi assujettis à cet effroi. En ce sens, Serge Morand, écologue de la santé et parasitologiste de terrain, affirmait lors d’une interview effectuée par téléphone le 6 avril pour France Info : « C’est fou, quand on y pense, en octobre, peut-être même encore en novembre, un virus circulait tranquillement sur une population de chauves-souris, quelque part en Asie du Sud-Est. Cinq mois plus tard, il a contaminé toute la planète. C’est hallucinant. »

Ce même spécialiste des épidémies donnait une conférence le 21 janvier 2020, à Paris, auprès d’une quinzaine de spécialistes français de la santé et de la biodiversité, pour souligner le risque d’épidémie d’épidémies, autrement dit l’explosion récente du nombre de maladies infectieuses du fait de la destruction des écosystèmes. Bref, celui qui alertait hier sur le risque est lui-même surpris par l’exponentielle de cette pandémie. Nous vivons donc une triste époque de somnambulisme dans laquelle se projeter dans l’avenir semble impossible à la majorité et périlleuse pour les plus éclairés.

Malgré les alertes, malgré les chiffres et malgré les catastrophes déjà nombreuses, nous n’arrivons pas à nous projeter. Dès lors, ce qui est commun à chacun d’entre nous, et cela concerne des milliards d’individus, c’est que nous sommes tout à fait dépassés par la dimension de l’événement.

Notre logiciel d’appréhension de la situation tourne à vide, incapable de produire une issue satisfaisante. Nous sommes pris au piège d’un mode de pensée que nous avons fantasmé comme libératoire, celui de la modernité rationaliste issue des Lumières. Un mode de pensée que Edgar Morin juge mutilant et simplificateur et qu’il accuse d’avoir déclassé un mode de pensée complexe, plus proche de la réalité du monde qui nous entoure. En effet, la pensée moderniste a eu ce malheur de découper, cloisonner et séparer afin de faciliter la lecture du monde, tout en nous rendant vulnérables car incapables d’appréhender sérieusement la complexité des systèmes.

Comprendre la dynamique des systèmes pour comprendre le crépuscule de la civilisation thermo-industrielle

La catastrophe épidémiologique que nous vivons éclaire parfaitement la critique faite par Edgar Morin : un virus émerge dans la population humaine et affecte par effet domino le système sanitaire, puis le système économique, alimentaire, social, politique, etc. De fait, le système de pensée qui prévalait jusqu’ici se trouve invalidé. Nous ne pouvons plus séparer au risque d’être totalement dépassés demain comme nous l’avons été hier par cette pandémie.

Par conséquent, c’est notre appréhension du monde qu’il faut revoir. Pour comprendre cet effet domino, il nous faut sortir d’un système de pensée mutilant pour s’engager, avec humilité, sur les chemins de la pensée systémique, et plus encore, de la pensée complexe. Pour le dire simplement, penser un système c’est sortir d’une pensée qui sépare pour adopter une pensée qui recherche les liens entres les éléments qui composent ce système.

De plus, un système est dit complexe si les interactions qu’il produit génèrent des actions imprévisibles et aléatoires qu’il est difficile d’anticiper mais nécessaire d’appréhender. Penser les systèmes complexes c’est donc penser les inter-relations qui existent entre le méta-système solaire, le méta-système Terre et les sous-systèmes qui l’habitent (anthroposphère, biosphère, atmosphère, lithosphère etc.), eux même habités par des sous-systèmes (culturels, sociaux etc.). Ainsi, les sociétés humaines influencent et sont influencées par différents systèmes.

Ces interactions conduisent à des rétroactions (positives ou négatives) qui assurent le maintien de l’équilibre des systèmes et génèrent des variations ponctuelles de la stabilité du méta-système Terre (parfois désastreuses quand les limites de résistance du système sont dépassées). Ces variations rendent les systèmes socio-écologiques non seulement complexes mais également adaptatifs sur des temps longs. Or, notre civilisation est marquée par une profonde méconnaissance du fonctionnement des systèmes complexes avec pour conséquence une inclinaison des Hommes à vouloir se penser en dehors, voire au dessus, de la Nature. En s’extrayant des systèmes socio-écologiques, l’Homme provoque alors des déséquilibres écosystémiques à une vitesse jamais égalée (moins de 80 ans).

Dès lors, le caractère imprévisible des émergences provoquées est renforcé, et devient susceptible d’entraîner des conséquences en cascade non anticipées. C’est ce qui définit l’avènement d’un basculement : des perturbations qui déstabilisent un système et ses sous-systèmes et qui génèrent de l’incertitude quant aux propriétés émergentes.

Ainsi, comme le soulignait l’équipe de Meadows en 2017 « Étant donné le temps qu’il faut à une forêt pour repousser, à une population pour vieillir, à des polluants pour infiltrer dans l’écosystème, à des eaux polluées pour redevenir propres, aux machines pour se déprécier, ou aux individus pour s’instruire ou se recycler, le système ne peut changer du jour au lendemain, même après avoir perçu et accepté l’existence d’un problème. Pour se diriger correctement, un système et sa force d’inertie doivent regarder loin devant, du moins aussi loin que sa force d’inertie le lui permet. Plus un bateau met de temps à virer, plus son radar doit porter loin. Les systèmes politiques et économiques de la planète ne regardent pas assez loin devant eux ».

Autrement dit, il faut se projeter et anticiper la déstabilisation de nos systèmes complexes en affirmant l’importance d’une véritable vision politique dont l’épine dorsale doit selon nous reposer sur de la résilience des systèmes.

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