Le désastre du Covid dans l’hémisphère Sud est dû au capitalisme

La seule manière d’empêcher des crises sanitaires dévastatrices comme celle ayant en ce moment lieu en Inde est d’utiliser le pouvoir des États et des entreprises d’occident.

Les scènes dont nous sommes témoins en Inde sont tout bonnement horrifiantes. Hier, le nombre de cas confirmés dans le pays a dépassé les 20 millions. Les services de santé du pays sont dépassés. Les docteurs et autres personnels soignants se plaignent d’un cruel manque de matériel et d’une surpopulation massive des unités de soin intensif à travers tout le pays.

Les cadavres s’empilent à mesure que le système s’effondre. Les Crematoriums débordent de corps et n’arrivent même pas à les brûler assez vite par rapport au nombre de décès. Presque tout le monde dans le pays a perdu quelqu’un ; beaucoup n’ont même pas eu le temps de pleurer avant de quitter leur proche.

Jusqu’à maintenant, le reste du monde s’est contenté d’observer avec un mélange de surprise et d’empathie. Il a fallu des semaines avant que des pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni ne leur apportent leur soutien : le gouvernement britannique a récemment prévu d’envoyer mille respirateurs à l’Inde, en plus d’avoir déjà envoyé la semaine dernière deux cent respirateurs et cinq cents bouteilles d’oxygènes. Les États-Unis ont fourni 1.4 milliard de dollars en soin d’urgence, avec des respirateurs, divers matériels et des moyens humains.

Mais cet étalage de générosité de la part de l’ancien colonisateur Indien et de la puissance la plus impérialiste du monde est trop faible, trop tardif. Ce dont l’Inde a besoin, ce sont les vaccins ; et pour que l’Inde obtienne des vaccins, les brevets des fabricants doivent être levés.

Des compagnies comme AstraZeneca et Pfizer ne céderont pas volontairement leur propriété intellectuelle – même si cela implique de regarder sans rien faire des milliers de personnes mourir. La morale n’est pas prise en compte dans une logique affairiste – l’impératif, comme Marx l’a un jour écrit, est « accumuler, accumuler ! »

Même si l’une des entreprises de Big Pharma voulait renoncer à sa propriété intellectuelle pour soutenir l’Inde, cela la pénaliserait par rapport à ses concurrents, provoquant la colère des tout-puissants actionnaires. Soit toutes les entreprises pharmaceutiques sont contraintes de renoncer à leurs brevets, soit aucune ne le fera – comme c’est souvent le cas durant les crises induites par le capitalisme, c’est à l’État de résoudre les problèmes qu’il génère.

La réponse – ou l’absence de réponse – des États les plus riches face à cette crise aura des conséquences à long-terme. C’est maintenant un fait établi qu’il ne peut y avoir de victoire locale durable sur la pandémie sans une victoire généralisée. Les riches ne peuvent pas échapper à ce virus sans les pauvres.

Ceci est vrai à la fois pour des raisons logistiques et macroéconomiques. Les politiciens occidentaux pourraient essayer de garder leurs frontières complètement fermées, mais – comme Harsha Walia me l’a dit d’une manière éloquente dans le dernier épisode de A world to win – les frontières ne sont pas faites pour être totalement imperméables. Elles ont toujours été et seront toujours poreuses pour certaines personnes – à la fois les très riches et les travailleurs expatriés employés pour faire tourner l’économie du monde riche.

Bien qu’imposer des restrictions sur les déplacements à mesure que des variants du virus apparaissent à travers le monde ait permis de ralentir sa propagation, fermer complètement les frontières est impossible. Même si des restrictions draconiennes sont appliquées sur les échanges internationaux au Royaume-Uni, le variant Indien nous a déjà atteints. À Londres, le variant B.1.617 se répand rapidement, remplaçant très vite l’actuel variant majoritaire, Kent.

Le succès de la campagne de vaccination et du confinement en cours s’est manifesté par une baisse de la présence du virus au Royaume-Uni, mais comme un scientifique l’a fait remarquer sur Twitter, « nous avons déjà vu par le passé l’apparition de variants masquée par la chute générale du nombre de cas ». Le virus est trop contagieux pour pouvoir rester isolé dans un coin du monde – s’il est quelque part, alors il sera potentiellement partout.

Même s’il était faisable de « confiner » le virus dans les endroits les plus pauvres du monde, en sacrifiant la vie de millions de personnes, l’impact économique serait désastreux.

Premièrement, nombre de pays parmi les plus pauvres du monde sont déjà au milieu d’une profonde crise de la dette. Pendant que la pandémie a fait rage, le capital a fuité hors des pays pauvres jusque dans la prison dorée qu’est le dollar américain. Avec la Réserve Fédérale des États-Unis, qui injecte en apparence indéfiniment de l’argent dans le marché financier américain, une bonne partie de son capital s’est transformée en actions américaines, dopant la richesse des investisseurs privés pendant que les états du Sud se démènent désespérément pour rembourser leurs obligations à leurs créditeurs.

S’ils ne parviennent pas à rembourser ces obligations, les États les plus pauvres du monde risquent d’être tenus à l’écart des marchés financiers, poursuivis par leurs créditeurs, et de voir des institutions financières internationales pirater leurs économies à l’aide de « réformes » néolibérales qui ne feront qu’augmenter les inégalités et la pauvreté sur le long terme.

Pendant que le variant Indien se diffuse en Asie du Sud et en Afrique sub-saharienne, certains états pourraient se retrouver dans des conjonctures économiques encore plus catastrophiques, rendant encore plus difficile ce défi important pour l’économie mondiale. Effacer la dette est clairement nécessaire pour apporter une certaine stabilité à la situation, mais encore une fois les plus puissants gouvernements n’agissent pas.

Deuxièmement, les économies du Nord reposent sur le travail et autres exportations depuis le Sud pour fonctionner. Comme nous l’avons clairement observé quand la Chine a été forcée de mettre son économie sur pause au début de la pandémie, l’économie mondiale est bien trop interconnectée pour qu’une de ses parties s’écroule sans qu’aucune autre ne soit affectée.

Si les industriels et les consommateurs du Nord se retrouvaient soudainement sans accès aux importations du Sud, les conséquences seraient désastreuses. Même si la demande dans des pays comme le Royaume-Uni continuait à tenir jusqu’à ce que la reprise économique se confirme, du côté de l’offre, la diffusion du virus dans le reste du monde générerait une pression inflationniste jamais vue depuis des décennies.

Avec des travailleurs du Nord faisant déjà face au chômage et dans le même temps l’affaissement de leur déjà maigre pouvoir de négociation, l’augmentation de l’inflation aurait sûrement pour effet l’impossibilité d’augmenter suffisamment les salaires – particulièrement pour ceux en bas de l’échelle – et compromettrait la reprise.

En ce qui concerne les marchés financiers, les marchés du travail, le commerce ou autre, la crise à laquelle nous assistons dans le Sud aura des énormes conséquences dans le monde entier. Il ne peut pas y avoir de reprise dans le Nord sans une reprise dans le Sud.

Si l’administration Biden – actuellement félicitée par les sociaux-démocrates du monde entier pour son agenda économique intérieur progressiste – n’écoute pas la centaine de législateurs implorant au Président de lever les brevets des vaccins à travers l’OMC pour venir en aide à l’Inde, alors même la reprise économique américaine sera éphémère.

La logique du capital est la compétition, pas la coopération. La logique de l’état capitaliste est de résoudre les problèmes que le capital engendre. Reste à voir si le dirigeant de la puissance la plus impérialiste sera assez clairvoyant pour réaliser que les problèmes de l’Inde sont également ses problèmes.

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